Au sortir d’une thèse eisensteinienne, Hors-Cadre Eisenstein, le « tenir debout tout seul de l’image » est une évidente nécessité, au point d’étudier, photographiquement, tous les changements de plans dans la séquence de l’écrémeuse de La ligne générale d’Eisenstein ou d’aller, lors de notre premier voyage au Mexique, étudier la composition des hiéroglyphes mayas[11] [11] Pour davantage d’informations à propos du travail de Raymonde Carasco et Régis Hébraud, nous renvoyons à leur site, véritable mine de documents, ainsi qu’à la table ronde Cinéma / Politique de 2004 à laquelle Raymonde Carasco a participé. :
Pour penser le montage, Raymonde utilise l’écriture et les dessins :
Tous nos films seront d’abord montés avec les seules images, jusqu’à ce que le montage image « tienne debout tout seul », soit visible muet.
Et pour parvenir à ce résultat nous adoptons la méthode suivante :
– Avant tout acte de montage, nous apprenons le matériau par la répétition des projections jusqu’à pouvoir nommer tous les plans et dessiner une fiche perforée pour chacun d’eux.
– Par ailleurs, un tableau muni de clous où sont accrochés les fiches-plans visualise l’état global du montage. Il nous permet de désigner facilement ce qui ne va pas et où il convient d’intervenir.
– Lors du collage de deux plans consécutifs, il est d’usage d’écrire sur la pellicule, au crayon blanc, la référence du plan. Mais si le montage réside d’abord dans le passage d’un plan l’autre, toute marque en fin ou début de plan trouble l’évaluation de ce passage. Je n’écris donc rien sur la pellicule. Je tiens à jour l’état du montage avec un logiciel programmable de gestion de données en relevant les numéros de bord et j’imprime les états successifs du montage.
– Nous avons acquis une table de montage 16, une Atlas bleue, à trois pistes son. Raymonde voit mal le montage sur l’écran de la table. Après chaque séquence de travail, elle me demande une projection sur écran, tandis que je prends note des remarques qu’elle formule.
– Quand vient le montage son, les listings de montage tiennent compte des durées de plans de façon à les compléter par les lignes de sons. Ils serviront à diriger le mixage.
Montage de Tarahumaras 78
Tarahumaras 78, monté en trois parties de 15, 10 et 5 minutes, nous fait passer, par fragments, du cinéma muet au cinéma sonore : des silences et quelques pièces de violon Tarahumara. Nous revivons l’histoire du cinéma. Raymonde s’étonnera d’avoir réalisé un film vertovien plutôt qu’eisensteinnien.
Montage de Tutuguri
Tutuguri – Tarahumaras 79 est notre plus bel exemple de film de pur montage, à partir de trois types d’images : la démonstration du rite du Tutuguri dans sa structure même, les images de marche captées du point de vue de Gradiva, les images de courses — les carreras de bola y de aro. Montage en différences et répétitions, quelques phrases du poème d’Artaud, et le chant du Tutuguri.
L’étalonnage
Raymonde, riche des leçons de Bruno Nuytten, a dirigé tous les étalonnages, obtenant, notamment chez Eclair, une parfaite collaboration avec les techniciens. Nous avons toujours remarqué que lorsque nous demandions quelque chose de spécifique aux techniciens du son ou de l’image, ils répondaient avec tout leur talent et leur savoir faire, bien que nous soyons de tout petits clients.
Cinéma et ethnologie
Avec le tournage et le montage de Los Pintos – Tarahumaras 82, nous rencontrons la propre mise en scène des Tarahumaras dans leurs rites et leurs danses. La chance, au tournage, est d’avoir choisi un point de vue, un cadre, et de disposer des 3 minutes de pellicule vierge dans la Beaulieu. C’est le cas ce printemps-là. Par exemple dans la montée des groupes de danseurs qui s’inscrivent, l’un après l’autre dans le cadre, avec une manifeste conscience de la caméra qu’ils n’ont pourtant jamais expérimentée. C’est aussi le cas de la spirale des Pascoleros, le dimanche matin.
Jean Rouch, jusque là réservé sur notre façon de filmer, nous reconnaît et recommande de sélectionner Los Pintos pour le Cinéma du Réel de mars 1985.
La réalité ethnographique
« Le problème d’un véritable film ethnographique réside en ceci qu’il ne saurait s’agir de pure fiction, c’est la réalité ethnographique qui commande, une réalité à tous égards périlleuse et risquée, liée au hasard comme la nécessité d’un événement par essence inattendu, imprévisible et qu’il faut capter comme s’il avait lieu une seule et unique fois — c’est selon notre expérience, la condition d’un document où la présence blanche n’introduit pas trop d’effets de représentation secondaires, laisse le rite initiatique, ses exécutants et spectateurs, dans la rigueur et le sacré d’une dimension collective. » (Raymonde, 1998)
Les films de 84, 85 et 87
Le film de 84, Yumari, est le dernier relevant de la logique : un voyage = un film. Et, avec lui, nous approchons mieux les Tarahumaras : ils nous invitent chez eux, dans leurs fêtes du Tutuguri et du Yumari, et nous connaissons les chemins. En ce sens, Yumari est notre film le plus “documentaire”.
Le montage du film de 85, Los Pascoleros, ne va pas à son terme. Certains plans redoublent sans les égaler ceux de 82, et il nous faudra attendre dix ans pour savoir le monter, par soustractions, dans toute sa force.
Le montage des rushes de 87 souffrira du sentiment que tout est fini du côté de Norogachic. Et il nous manque l’unité de temps et l’unité de lieu des tournages précédents. Nous ne dépassons pas des tentatives partielles de montage. Il faudra attendre 2011 pour réaliser Los Matachines et le Portrait d’Erasmo Palma. C’est la première fois que les Carnets de Raymonde servent au montage !
Le rite et le mythe
Avec la captation cinématographique des rites Tarahumaras se pose la question du mythe. Il y a, bien sûr, Antonin Artaud et la violence de son écriture. Elle apparaît timidement dans Tutuguri. Elle reviendra plus forte dans Los Pascoleros, Artaud et les Tarahumaras, Ciguri 96, 98 et 99. L’autre source vient d’Erasmo Palma, Tarahumara doué d’une grande force poétique. Il a l’art de la parole. Ses récits commencent toujours par « anteriormente », au commencement, avant, avant la conquête ; quand son peuple, hors péché, ne connaissait pas encore le bien et le mal. Nous enregistrons en 79 la parole que l’on entend dans Los Pintos 82 et Yumari 84. Comme avec Artaud, le Mythe nous a été donné avant la captation des rites.
Une coupure de 7 ans
Les tournages de l’hiver 87 à Norogachic nous placent dans un tel sentiment de désastre que nous renonçons à y revenir : il nous semble que là tout est fini.
L’année 95
Il est très important, ici, de redire la force créatrice de Raymonde. Nous aurions pu, après 7 ans sans être revenus dans la Sierra, ne jamais y revenir. Choisir un autre chemin. Fin 94, Raymonde accomplit un acte magique (Nicole Brenez parle à bon escient de courage) : Raymonde vient de terminer une série de séminaires sur Antonin Artaud à l’UNAM. Il lui reste 15 jours avant le vol retour. Sans écouter les amis qui la mettent en garde, lui disent qu’elle va se faire voler et violer, elle décide d’aller seule à Norogachic, où elle réussit à se faire accompagner à cheval par deux jeunes “vachers” Tarahumaras jusqu’à Nararachic, suivant le probable chemin d’Antonin Artaud à l’automne 1936. Elle y arrive la nuit, après une journée de cheval qui a commencé par une chute, pour la fête de la Guadalupe. Elle revient le lendemain à Norogachic sans accident en longeant les canyons, puis regagne Chihuahua, Mexico et Toulouse.
Par ce prodigieux acte de folie, elle ouvre, pour nos sept nouveaux voyages, notre route du Ciguri.
Cette année-là est d’une activité cinématographique intense :
– Terminaison du montage de Los Pascoleros abandonné en 87.
– Réalisation du film de synthèse : Artaud et les Tarahumaras, pour La Sept-Vidéo, avec apprentissage du montage vidéo (déjà un peu approché en 92 pour les 15 minutes de Passages).
– Premier voyage à Nararachic, à Pâques, sans caméra, pour prendre rendez-vous avec “les Prêtres du Ciguri”, comme les appelle Artaud. Ce sont trois “Raspadores” que nous revenons voir à l’automne 95. Le plus illustre est mort. Ceverico deviendra notre ami. C’est avec lui que nous travaillons jusqu’en 2001.
Les films de 96, 98 et 99
Dans les trois voyages de l’automne 95, du printemps 96 et de l’hiver 97, nous engrangeons les images et les sons qui produiront Ciguri 96, Ciguri 98 – La danse du Peyotl, Ciguri 99 – Le dernier Chaman.
Et c’est là que Jean Rouch s’investit dans le projet :
– Il voit, à Toulouse, Ciguri 96, dans lequel Raymonde dit quelques passages de “La danse du peyotl” d’Antonin Artaud. Il lui propose sa propre lecture de ce texte. Et, l’année d’après, cet enregistrement a lieu, capté par son ingénieur du son François Didiot.
– Nous réalisons, sur le montage image de Ciguri 96, une nouvelle bande son, dans laquelle Jean Rouch dit les passages du texte relevant de la chronique artarldienne, Raymonde dit ce qui ressort de l’interprétation mythique des rites. Cela donne Ciguri 98 – La danse du peyotl.
– Il enregistre ensuite la lecture du “Rites du Peyotl chez les Tarahumaras” pour le montage de Ciguri 99. La première a lieu à la Cinémathèque Française, dans la Salle des Grands Boulevards, en présence de Jean Rouch.
Le travail de montage et de réalisation ont changé
– A partir de 98, Jean Rouch nous offre l’accès à son propre studio de mixage, situé derrière l’écran de la salle du Musée de l’Homme, et les services techniques de son ingénieur du son François Didiot, tant pour les longs et coûteux repiquages du son sur bande magnétique 16 mm. que pour les séances de mixage. Dans une économie du film basée sur nos propres salaires, c’est une aide précieuse, déterminante.
– L’aide de Germaine Dieterlen nous permet de sous-titrer le montage de Ciguri 99 – Le dernier chaman ; c’est elle qui, au vu du film précédent, dit de Ceverico : « Cet homme est un chaman ».
– Ils proposent à Raymonde de se joindre à leur équipe d’ethnologues. Raymonde préfère continuer sur le chemin de la philosophie : « Mon outil, c’est la philosophie ».
« L’anthropologue entre dans un devenir-cinéaste : l’ethnographie est alors l’affirmation de la puissance des signes, hors commentaire ethnologique. En ce sens, il est vrai, notre propre trajet fut inverse : c’est d’abord en tant que cinéaste, dans un projet singulier, entre littérature et cinéma, cinéma et ethnologie (aller sur les traces du Voyage qu’Antonin Artaud fit en 1936 au Mexique, au Pays des Tarahumaras) que nous sommes entrés, comme malgré nous, à travers une recherche de plus de vingt années, dans un devenir-ethnographe. Il y aurait donc une sorte de va-et-vient, un double chemin, entre deux processus : devenir-cinéaste (de l’ethnologue), devenir-ethnographe (du cinéaste).» (Raymonde, 1998)
C’est ainsi que nous sommes entrés dans un autre domaine, que nous nous sommes engagés, comme malgré nous, dans un devenir-ethnographe, et que la question de la création d’un cinéma du corps, cinéma-corps-pensée, qui est la nôtre rejoint celle des anthropologues. Sacrifice – Possession – Transe, de Mauss à Jean Rouch, en passant par Griaule, Germaine Dieterlen, Andras Zempléni.
Ecrire un scénario ethnographique
Raymonde avait écrit, en 95, un premier scénario pour le montage synthétique de nos films de 78 à 85, Artaud et les Tarahumaras.
Ecrire un scénario de film Tarahumara à venir est un exercice singulier auquel va se livrer Raymonde dans la constitution de dossiers de demande d’aides (en particulier pour les Bourses « Brouillon d’un rêve » de la SCAM, en 97 et en 2000).
« Il est extrêmement difficile d’écrire un scénario d’Anthropologie visuelle, dans le cas où il s’agit de réaliser un véritable film ethnographique, c’est-à-dire un film ayant sa propre autonomie, où seules les images visuelles et sonores donnent à voir et à entendre, hors logos, hors tout commentaire discursif, non seulement le matériau ethnographique recueilli, mais aussi (et surtout) l’idée du film, le sens, nécessairement invisible, de l’événement présenté. Il s’agit donc d’inventer une parole-cinéma, de construire une pensée-cinéma. Par la mise en cinéma, le montage. » (Raymonde, 1998)
La Fêlure du Temps
Je remarque qu’à partir des derniers voyages, ceux de 99, 2000 et 2001, toutes les fois qu’elle cherche à exprimer, soit d’intenses blocs de sensations, soit la pensée du montage à venir, Raymonde utilise non plus l’écriture imbriquée mais l’écriture verticale (Artaud l’a beaucoup fait). Et je crois que cette forme poétique est la réponse la plus adéquate aux difficiles questions de montage. Le poiein.
Le texte fondateur de 2001
Voici, par exemple, comment elle formule dans quel projet nous sommes alors engagés, Le projet fondamental :
« LA FÊLURE DU TEMPS
Il y aurait donc cette CESURE,
de l’avant et de l’après, qui
désormais ne riment plus ensemble
UN FILM FLEUVE
AU COURS LE COURS DU TEMPS
AU FIL(M) DU TEMPS
L’EAU
CES RIDES CONCENTRIQUES
CE PROCESSUS DE DILATATION-EXPANSION
A PARTIR DE PRESQUE RIEN
CE CENTRE PRESQUE INVISIBLE
CE CREUX CE CENTRE SPIRALÉ
QU’ON S’OBSTINE EN VAIN A REGARDER
A CHERCHER NE PAS TROUVER
SINON DANS SES EFFETS :
CES RIDES DE L’EAU
MATERIELLES INVISIBLES
CE POINT D’IMPACT
CE CAILLOU
PETIT CAILLOU DE RIEN DU TOUT
JETÉ VENU DU DEHORS
L’ENFANT , IMPATIENT
OU VENU DU DEDANS
A PLUS PROFOND DE L’EAU
ASPIRATION
COURANTS
ET A LA SURFACE DE L’EAU
LE VENT. »
Définitions de la Fêlure
« Les choses ne sont pas telles que nous les voyons et que nous les ressentons la plupart du temps… Au commencement elles étaient vraies… Le monde au début était tout à fait réel, il sonnait dans le cœur humain et avec lui. Maintenant le cœur n’y est plus, l’âme non plus parce que Dieu s’en est retiré. Voir les choses c’était voir l’Infini. Maintenant quand je regarde la lumière j’ai du mal à penser à Dieu. » « Rite du Peyotl chez les Tarahumaras », Antonin Artaud.
« À cette limite, l’homme s’oublie, lui, parce qu’il est tout entier à l’intérieur du moment; le dieu, parce qu’il n’est plus rien que le temps; et de part et d’autre, on est infidèle : le temps, parce qu’en un tel moment il se détourne catégoriquement, et qu’en lui, début et fin ne se laissent plus du tout accorder comme des rimes; l’homme, parce qu’à l’intérieur de ce moment, il lui faut suivre le détournement catégorique, et qu’ainsi, par la suite, il ne peut plus en rien s’égaler à la situation initiale. » « Notes sur Œdipe », Hölderlin.
C’est la définition du tragique moderne où « le Dieu-et-homme s’accouple mais dans une séparation illimitée ».
Notre expérience Tarahumara de l’Avant et de l’Après :
Nous avons fait, de multiples fois, l’expérience cinématographique de ce détournement catégorique :
En 82, nous captons la splendeur visuelle et sonore de quatre jours et quatrenuits de danses en continu. « C’est tout un peuple qui retrouve là ses esprits ».
En 84, Raymonde, dans le groupe des Femmes d’un Tutuguri, voit cette gestion dionysiaque de l’ivresse : être ou ne pas être borrachita, pas borracha. Le diminutif est fondamental. Légèrement ivre, de cette ivresse qui libère la parole, les plaintes élégiaques, ce moment où une femme Tarahumara ose palper la chair du bras de Raymonde pour savoir de quoi elle est faite.
En 95, nous captons la magie des spirales du Yumari à l’aube d’une nuit de danses : « La beauté de ce que je vois, dans une sorte de vision somnambule, d’éblouissement nocturne, de ce que j’entends : la ronde, les figures fugitives de séparation, de pseudo rencontres, d’évitement, la multiplicité d’un peuple, la dimension la plus grande, la seule ivresse du désir, avant de boire le texguino, avant de manger, avant la fatigue, la pure ivresse, l’intensité la plus haute de la fête. »
***
Pour moi, il suffit de choisir la focale, le cadre, de régler la lumière, le point et de plus toucher à rien : l’événement s’inscrit sur la pellicule.
En 85, les fêtes de Pâques à Norogachic virent au désastre. Nous n’en conserverons qu’un seul plan de danse dans le montage final de Los Pascoleros. En 99 je n’ai plus la matière des plans lors d’un Tutuguri avec les mêmes gens qu’en 95. Les mots ont changé : On ne dit plus : « je vais à un Tutuguri, à un Yumari, à une Raspa ; on dit voy a tomar, boire, nous allons boire, boire du tezguino vite fait, additionné de levure et de la tequila au litre, et avant d’essayer de danser. On qualifie les rites du Jículi, de tonterias, de folies, de loufoqueries. En 2001, Ceverico nous dit : « Quand l’alcool arrive la fête disparaît ». Ils ont perdu cette faculté de rentrer dans la temporalité du rite, de la danse, de la fête, de « danser avec le dieu ».
L’approche de la pensée chamanique
Un des événements majeurs survenus dans nos derniers voyages est la libération de la parole Tarahumara vers nous. La langue Tarahumara nous est à peu près totalement incompréhensible et nous ne percevons rien de ce qu’ils se disent entre eux. S’adresser à nous en espagnol tient de la décision de nous livrer quelque chose. C’est le chaman lui-même qui prend l’initiative des sept dialogues du 17° voyage. Il nous en prévient la veille. Le jour-dit, il s’habille de vêtements de fête et nous amène dans des lieux symboliques.
L’impératif est donc d’enregistrer. Le magnétophone tourne en continu, et je filme par instants leur dialogue : Nicole Brenez, qui sait voir, a remarqué que c’est la première fois, dans la Fêlure du Temps, que Raymonde apparaît dans l’image. En 85, dans un plan d’ouverture, on distingue furtivement Raymonde. Elle en était fâchée et pensait quelle n’avait rien à faire là. A Nararachic, et à la fin, c’est moi qui décide de la filmer, et elle ne protestera pas. Quelque chose s’est donc passé dans son appartenance à ce peuple.
L’ampleur des documents rapportés des trois derniers voyage : 10 heures d’entretiens, 5 heures de rushes, nous demande deux ans de travail. Les enregistrements sonores demandent un travail long et méticuleux d’écoute, de transcription en espagnol, de traduction en français et de réécriture en style indirect libre. Il nous faut voir et revoir les images, les identifier, et utiliser une gestion informatique pour s’y retrouver.
Montage d’une Saga
« Il nous faudra du temps
pour terminer
ce film-fleuve.
Le travail le plus difficile
actuellement
c’est d’ajuster le texte/l’image.
L’idéal ce serait
ce mur de pierres sèches
entièrement fait à la main
es pura mano
qui sans le moindre liant
pas même de la boue
tient debout tout seul. » (Tarahumaras, 2003)
La pensée des cinq parties est venue des neuf épisodes de la Saga du Parrain de Coppola qui était diffusée à l’été 2002 ! Nous avons opté pour seulement 5 parties…
Il y eut d’abord le montage des textes relatifs à chacune des parties à partir des sept grands dialogues de Raymonde avec le Chaman du printemps 2000.
– Puis vint la séparation des images en cinq chutiers. C’est Raymonde qui désigna, durant les projections, la destination de chaque plan.
– Il fallut transformer l’espace de montage pour gérer ce qui correspondait pour nous à cinq films. Nous avons dévalisé les quelques fournisseurs qui vendaient encore des bobines 16 et de la bande perforée bleue.
Les quatre premières parties ont été terminées au printemps 2003.
Il nous a fallu attendre six mois de plus pour parvenir à mixer la dernière, toujours avec l’aide de François Didiot, et toujours dans le studio de Jean Rouch du Musée de l’Homme alors que de grands travaux étaient en cours.
La première projection des quatre premières parties de la Fêlure a eu lieu à Paris, dans la salle des Grands Boulevards de la Cinémathèque Française, le 4 avril 2003, à l’initiative de Nicole Brenez.
Nicole Brenez qualifie de « fresque » l’ensemble de notre travail sur les Tarahumaras, et je l’en remercie vivement. Dans le montage de la vie qu’opère la mort, selon Pasolini, c’est cette « fresque » qui émerge maintenant.