Les trois premières minutes de Falling Lessons condensent et annoncent les soixante minutes de projection suivantes. Dans le noir du générique résonne la percussion d’un gong suivie de plusieurs coups de triangle. Les sons invitent à une attention méditative avant l’apparition des images. Surgit alors l’un des principales figures du film : les mouvements de caméra qui parcourent des corps, des visages, des surfaces, des sources de lumière. Le soleil est observé dans un plan tourné à l’envers, avant que l’obturateur ne se ferme dans un intrigant fondu au noir ; un autre plan isole un tissu rouge qui envahit tout le champ, orientant l’attention sur la plasticité des images. Deux plans font référence à Los Angeles, où va se dérouler le film : le logo de la Metro-Goldwyn-Mayer imprimé sur un t-shirt et un grand tableau représentant une vue aérienne de la ville. Dans ces trois premières minutes, des rimes se tissent entre les images et les sons en un assemblage qui n’est pas dénué d’humour. À la vue de la ville californienne répond, quelques secondes plus tard, une image du désert accompagnée par le bruit du vent. Peu après, un mouvement de caméra révèle qu’il s’agit d’un tirage photo, de la même manière que nous n’avons pas (encore) vu Los Angeles directement, mais une image peinte. Ce jeu de trompe-l’œil vise à rendre le dispositif cinématographique apparent à travers les articulations du montage.
Entièrement financé, tourné et monté par Amy Halpern pendant plus de quinze ans, Falling Lessons est un film avec un parti pris formel en apparence simple mais dont l’exécution est d’une complexité vertigineuse. Il se résumerait presque à la répétition continue d’un seul mouvement de caméra dans chaque plan : un basculement vertical vers le haut montrant le torse et le visage d’une personne qui regarde directement la caméra. Des interruptions, des variations ou des exceptions à cette règle perturbent parfois celle-ci, mais la sérialité récurrente du mouvement ascendant de la caméra produit un sentiment de vertige. Elle crée l’illusion que les individus présents dans le film sont en chute libre devant la prise de vues[11] [11] Plusieurs courts métrages d’Amy Halpern s’intéressent au mouvement vertical et à sa relation avec le dispositif cinématographique : par exemple, Palm Down (2012) sur l’effondrement d’un palmier ; By Halves (2012), un film de found footage ; 3-Minute Hells (2012), « une progression en sept mouvements, de la détention à la libération » ; ou Fire Belly (2021), un film sur les salamandres. . Cet effet d’effondrement semble relier les plans entre eux, comme s’ils se suivaient dans un même espace : une cascade de photogrammes, pensée en analogie directe avec le fonctionnement de la projection cinématographique. Comme le rappelle Elena Duque : « Lorsque la pellicule passe dans un projecteur, les images qu’on voit sur l’écran sont en réalité à l’envers. Cela signifie que les panoramiques verticaux ascendants de Falling Lessons, lorsqu’ils passent dans le projecteur, sont en réalité descendants, et que les personnes dans le cadre « tombent » en quelque sorte dans le vide. Pour cette raison, Amy Halpern a affirmé que Falling Lessons devait être projeté en pellicule [dans son format d’origine, 16mm] et non en numérique. La métaphore de la chute, même si elle est cachée au public, est une couche conceptuelle qui doit être présente[22] [22] Elena Duque, feuille de salle pour une projection de Falling Lessons dans l’édition 2023 de Doc’s Kingdom – Seminário internacional de cinema documental. . »
Que voyons-nous sur l’écran durant l’étrange rituel de projection de Falling Lessons ? Principalement, les visages de plus de 200 êtres (personnes et animaux) qui passent devant la caméra de Halpern, regardant presque toujours dans l’objectif. Dans leurs portraits se lisent toutes sortes d’attitudes et d’affects : la peur, la joie, la naïveté, la haine, la séduction, la résignation, l’indifférence. Ces regards questionnent, secouent, jugent, exigent une réaction : le film fixe son public. Falling Lessons brasse différents états émotionnels, alternés les uns avec les autres, souvent sans lien de causalité ni explication particulière. Cette idée de toucher aux émotions extrêmes est matérialisée par la présence d’Amy Halpern dans une séquence où elle se filme en train d’exécuter une danse passionnelle, presque désespérée, à l’intérieur d’une chambre vide, pour ensuite refermer la porte de la pièce en regardant la caméra, laissant celle-ci à l’extérieur. Malgré quelques esquisses dramatiques dans certaines scènes comme celle-ci, il n’y a pas d’intention narrative autre que l’expérience du regard, le mystère du contact visuel direct.
Plusieurs commentateurs ont rapproché Falling Lessons d’autres jalons du portrait cinématographique dans l’avant-garde nord-américaine, comme Galaxie de Gregory J. Markopoulos ou, surtout, les Screen Tests d’Andy Warhol. Parmi eux, David E. James, qui écrit à propos de cette relation : « Le degré de conscience de soi dont font preuve les personnages met en évidence de façon variable leur conscience (et donc celle du public) de la caméra et du processus de fabrication du film[33] [33] David E. James, The Most Typical Avant-Garde: History and Geography of Minor Cinemas, Los Angeles, Berkeley: University of California Press, 2005, p. 239. . » En effet, il est difficile de ne pas penser aux regards caméra des portraits filmés par Warhol à la Factory, à la différence que dans ceux-ci, les personnages sont « piégés » dans un plan fixe qui a toujours la même durée (une bobine de 16mm), alors que les figures filmées par Halpern sont « condamnées » à la disparition par le balayage vertical effectué par la caméra en seulement quelques secondes.
Halpern a passé quinze ans à compiler et à assembler les matériaux de son film, où l’on voit des membres de sa famille, ses amitiés, son voisinage et même des personnes inconnues candidates au casting de cette insolite cérémonie en chute libre nommée « film ». Bien qu’il ait été tourné à Los Angeles, l’idée du film a été inspirée par New York où Halpern est née et a grandi : « À New York, on voit des centaines de personnes chaque jour, de très près, et personne ne regarde personne parce que chacun est en train de faire quelque chose. Le contact visuel avec les autres m’intéresse plus que toute autre chose. C’est donc cette envie qui m’a poussé à faire Falling Lessons. Je pense que cela vient directement des rues de New York[44] [44] Elena Duque, « Amy Halpern: On Falling Lessons », catalogue de l’édition 2023 de Doc’s Kingdom – Seminário internacional de cinema documental, p. 38. . » Comme Galaxie et les Screen Tests qui s’y déroulent, il s’agit pour Halpern de constituer le portrait d’une communauté dont elle fait partie, ou plutôt de différents niveaux au sein d’une communauté. D’abord, un groupe de cinéastes vivant et travaillant à Los Angeles en marge de Hollywood[55] [55] David E. James contextualise ainsi la relation entre le film de Halpern et Hollywood : « À Los Angeles, où les artistes d’avant-garde ont souvent été marginalement employés par l’industrie et où la frontière entre l’avant-garde et le film indépendant est particulièrement perméable, les films péri-industriels qui traitent implicitement ou explicitement de l’industrie ont été inévitables. Tarzan and Jane, Regained Sort Of (1963) d’Andy Warhol, The Trip (1967) de Roger Corman, The Last Movie (1971) de Dennis Hopper, Angel City (1977) de Jon Jost, Long Weekend (O’Despair) (1987) de Gregg Araki et Falling Lessons (1992) d’Amy Halpern sont toutes des variations sur le thème de la vie des figurants de Hollywood. À Los Angeles, une sorte de projection fantasmatique de soi dans l’industrie cinématographique est presque inéluctable pour tout artiste, mais surtout pour les cinéastes. » David E. James, op. cit., p. 53. : Shirley Clarke, Pat O’Neill, Monona Wali, Ben Caldwell, William Moritz, David Lebrun, Julie Dash, Chick Strand, Mike Jittlov, Barbara McCullough, Mike Henderson, Diana Wilson, parmi d’autres collègues techniciens, programmateurs ou professeurs de cinéma, ainsi que plusieurs autres artistes et musiciens. Amy Halpern, depuis ses premières études à l’université de Binghamton (dans l’état de New York), avait collaboré à des projets avec plusieurs cinéastes, aussi bien derrière que devant la caméra, comme technicienne ou performeuse : Ken Jacobs ou Larry Gottheim, tous deux professeurs à Binghamton, en sont quelques exemples. À son arrivée à Los Angeles, elle poursuit ses études de cinéma à l’UCLA et travaille ensuite comme chef opératrice ou éclairagiste sur de nombreux films, aussi bien des projets indépendants ou expérimentaux (par exemple, My Brother’s Wedding de Charles Burnett ou The Decay of Fiction de Pat O’Neill) que des productions plus commerciales (comme Godzilla 1985 de R.J. Kizer et Koji Hashimoto ou Alien Resurrection de Jean-Pierre Jeunet).
La dynamique collaborative et communautaire a nourri la lente fabrication de Falling Lessons, le travail de nombreux artistes dont les visages défilent dans le film étant souvent une source d’inspiration pour Halpern. Ainsi de Soft Fiction (1979) de Chick Strand, une des cinéastes californiennes qui apparaît dans Falling Lessons. Amy Halpern a joué réciproquement un personnage dans le film de Strand. Structuré autour des témoignages introspectifs de cinq femmes qui s’adressent directement à la caméra, Soft Fiction est une exploration poétique de la subjectivité féminine. Les récits font ressortir des fantasmes sexuels et des traumatismes anciens. Le travail de caméra de Strand ne se limite pas à un registre purement documentaire de ces témoignages, mais tend vers une abstraction lyrique dont l’influence est remarquable dans le travail cinématographique de Halpern. Cette dernière n’intervient pas dans Soft Fiction comme une conteuse, mais elle apparaît plusieurs fois comme un mystérieux personnage mutique qui voyage en train au début du film, tente de pénétrer dans une maison complètement fermée. Dans l’un des derniers (gros) plans du film, sa présence sourd d’une cascade d’eau qui n’est pas sans rappeler celle, métaphorique, de Falling Lessons.
D’autres affinités possibles peuvent se souligner. Si les mouvements de caméra sont l’un des éléments fondamentaux de Falling Lessons, la présence de Michael Snow parmi les personnes y figurant dit cette complicité. Les balayages de la caméra, la sensation de vertige créée par le montage, l’intention de rendre conscient le dispositif cinématographique, font penser à Presents (1981) du cinéaste canadien. Conçu à la fois comme une satire du cinéma structurel et comme un essai sur la manière dont le cinéma « présente » et fait défiler des images du réel, ce film analyse le mouvement de la caméra dans ses multiples dérivations possibles. La troisième et dernière section de Presents consiste en un montage rapide de prises de vue très différentes, toutes de courte durée, dans lesquelles la caméra se déplace dans l’espace, souvent en panoramiques verticaux ou latéraux, mais aussi en mouvements circulaires, en zigzag, en avant ou en arrière. Comme l’explique Snow : « Dans une partie de Presents (la section du montage), le corps du cinéaste, les yeux, les bras et les mains, bougent (‘panotent’) la caméra dans des gestes provoqués par le sujet immédiat. Sur l’écran, on voit une juxtaposition de passages, de ‘présents’ conservés[66] [66] Michael Snow, « Présentation de Presents », Des écrits (1958-2003), Paris : Centre Georges Pompidou / École nationale supérieure des beaux-arts, 2005, p. 194. ». Cette partie du film est silencieuse sauf la fin de chaque plan, qui est ponctuée par un battement de tambour qui coïncide avec la coupe. Ce geste sonore minimaliste de Snow souligne le caractère éphémère de chaque image, destinée à disparaître irréversiblement à la fin de chaque prise (telle la cascade de visages dans Falling Lessons).
Si le film de Halpern rend conscient le dispositif cinématographique en grande partie à travers les mouvements de la caméra, le travail du son est lui aussi crucial. Avec l’aide de plusieurs dizaines de collaborateurs[77] [77] Dans le générique du film, Amy Halpern signe la conception sonore du film. Les noms de plus de 25 musiciens et de 16 ingénieurs du son « supplémentaires » sont mentionnés. Le mixage est signé par Richard Portman, dont Halpern avait été l’assistante à l’UCLA. Il était un célèbre ingénieur du son à Hollywood, qui a travaillé à l’époque sur des films tels que The Godfather (1972) de Coppola ou The Deer Hunter (1978) de Michael Cimino. , Halpern a conçu une bande sonore-collage et non synchrone, extrêmement complexe et pleine de nuances, faite d’un mélange « de musique virtuose, de bruits de machines et de sons naturels », selon ses propres mots. Rien que dans les premières minutes du film, le bruit incessant de la ville, des voitures et des sirènes de police laisse place à une mélodie de violon, puis alterne avec le bruit du vent, le galop des chevaux, le bruit des travaux de construction, le grondement des tambours d’une marche, des coups de feu, des bris de verre, un hélicoptère. Les mélodies s’enchainent ainsi, impliquant le son en une infinité de fictions potentielles. Des phrases en off flottent occasionnellement sur les visages, ne correspondant pas toujours à la personne qui nous regarde depuis l’écran, certaines insignifiantes ou ironiques, d’autres chargées de sens (par exemple : « Ne fixez pas le regard » ; ou encore : « Dans le domaine du capitalisme, il n’y a pas de monstre… tout le monde est un monstre »).
Dans l’un des derniers entretiens qu’elle a donnés avant son décès en 2022, Amy Halpern a déclaré ceci à propos d’une autre affinité importante pour son film : « Je n’ai pas beaucoup exprimé cette opinion, mais je considère que Falling Lessons fait partie de L.A. Rebellion, il a certainement été réalisé en parallèle avec ces films, même si Barbara McCullough et Ben Caldwell étaient les seuls à réaliser des films expérimentaux dans ce groupe[88] [88] Arindam Sen, « Slow Fireworks : The Films of Amy Halpern », Senses of Cinema, janvier 2023. ». En effet, les années d’Amy Halpern comme étudiante à l’UCLA coïncident avec les débuts de L.A. Rebellion, terme utilisé pour designer un groupe de cinéastes afro-américains qui se sont rencontrés à cette université dès le début des années 1970. Halpern les a côtoyés et a travaillé comme technicienne sur plusieurs de leurs films, comme Grey Area (1982) de Monona Wali ou Illusions (1982) de Julie Dash. Ces cinéastes partagent un désir commun pour créer un cinéma indépendant et alternatif (en termes de récit et de forme) au modèle dominant de Hollywood, qui avait traditionnellement ignoré les populations afro-américaines ou bien les avait réduites à toutes sortes de stéréotypes simplificateurs et très souvent racistes. Leur engagement politique et esthétique visait à « émanciper l’image » (selon l’expression de Ben Caldwell[99] [99] « Ce qui m’intéressait, c’était les aspects subliminaux du cinéma ; j’ai commencé à m’intéresser à l’idée que le film était en fait un rituel et un sortilège. J’ai remarqué qu’un grand nombre d’images subliminales étaient insérées dans les films au cours de l’histoire du cinéma, et toutes ces choses ont contribué à l’effondrement de ma culture. J’ai donc pensé que nous devions nous opposer à ce type de symbologie et changer le rituel. C’est pourquoi j’ai fini par considérer le cinéma comme un moyen d’émanciper l’image. » Ben Caldwell cité dans Allyson Nadia Field, Jan Christopher Horak, Jacqueline Najuma Stewart, « Introduction: Emancipating the image – The L.A. Rebellion of Black Filmmakers », L.A. Rebellion: Creating a New Black Cinema, Oakland: University of California Press, 2015, p. 1. ), avec l’intention de créer un nouveau type de cinéma sur la vie et l’histoire des communautés noires aux États-Unis ou issues de la diaspora africaine.
Ce contexte artistique naissant, dans lequel Amy Halpern a voulu inscrire Falling Lessons comme film « parallèle à » ceux de ses camarades de l’UCLA, permet d’élargir l’idée de communauté. Ceci en grande partie grâce à l’intrusion d’un petit épisode narratif qui évoque directement les fictions antiracistes de L.A. Rebellion. La façon de montrer certains espaces de la ville, le caractère pressant de certains sons (sirènes de police, ronronnement des motos, coups de feu) et une séquence où deux policiers conversent à l’intérieur d’une voiture évoquaient déjà cette affinité. L’épisode narratif en question vient bouleverser le film lorsque ces mêmes policiers poursuivent et abattent brutalement un enfant afro-américain dans la rue. Cette brève esquisse narrative modifie sensiblement la trame du défilé de regards auquel on assiste, le menant vers une prise de conscience : en effet, ces regards viennent interroger, secouer notre propre regard passif de spectateurs.
Vers la fin du film, on retourne sur le lieu de ce crime : pendant que la mère de l’enfant pleure sur son cadavre, des voisins se mobilisent, surveillant et menaçant la police. Cet épisode tragique fait basculer l’idée de communauté proposée par Falling Lessons, inscrivant le film dans un cadre socialement plus large et politiquement plus complexe. Historiquement, on peut situer le film entre les actes de violence qui ont déclenché les émeutes de Watts à Los Angeles à la fin des années 1960 et celles de Rodney King au début des années 1990 (parmi d’autres événements contre lesquels Halpern manifestait probablement son opposition en filmant cette séquence[1010] [1010] L’un des derniers films d’Amy Halpern porte sur le meurtre de George Floyd perpétré par la police en 2020 : I Tremble / 8:46 (2022). ). La continuité narrative entre ces différents épisodes autour de l’assassinat de l’enfant, éparpillés au long du film (de la première apparition des policiers jusqu’au soulèvement des voisins après le meurtre), se substitue temporairement à l’assemblage répétitif et presque abstrait de Falling Lessons. Mais cela ne signifie pas non plus qu’une trame de dénonciation sociale « sous-tend » l’ensemble du film, qui serait comme orienté sur ces quelques séquences de violence. Dans son brillant commentaire sur cette problématique, David E. James explique le fait suivant : « Au lieu de laisser la confrontation entre la police et le peuple se conformer complètement au réalisme social et à la polarisation sociale accrue du cinéma noir militant et indépendant de Los Angeles qui l’a précédé immédiatement – Bush Mama (1976) de Haile Guerima, par exemple, auquel ressemble certainement l’interlude –, ou de tomber dans le cliché de la réconciliation narrative du feuilleton télévisé dont elle se rapproche momentanément, Halpern désamorce à la fois les crises sociales et les crises structurelles. Sublimant la différence entre les deux modes, elle incorpore la narration au catalogue dans une conclusion festive qui les réunit[1111] [1111] David E. James, op. cit., p. 240. . »
Tandis que les regards de ces différents témoins convergent pour la première fois dans le film vers un même espace (le lieu où le crime a été commis), l’émeute improvisée se transforme soudain en rituel de transe, bouleversant encore une fois le film. C’est peut-être une manière de rompre l’illusion, de briser le quatrième mur et d’insister sur la nature artificielle de ce à quoi nous assistons : une représentation, une projection. Dans cette scène festive, inspirée par António das Mortes (1969) de Glauber Rocha[1212] [1212] « La scène culminante de Falling Lessons, qui contient de la musique live ainsi que d’autres éléments, je l’ai tournée en 1980. Aujourd’hui, elle semble moins extraordinaire qu’à l’époque, car MTV a commencé vers 1985. Il n’y avait pas de vidéos musicales à l’époque, à l’exception d’un film ou deux, et de ce film de Glauber Rocha, António das Mortes, dans lequel il y avait de la danse, des activités et de la musique, et c’est ce qui m’a servi de modèle ». Elena Duque, op. cit., p. 41. , un groupe de punk se met à jouer dans la rue et transforme la voiture de police en batterie ; les voisins et témoins se mettent à danser partout, même avec les policiers ; et les visages en gros plan sourient avec joie. Cette séquence jette la fiction naturaliste dans le vide et transforme l’espace du récit en un sortilège contre la brutalité dont nous venons d’être témoins. Ces renversements de sens expriment l’utopie radicale du film d’Amy Halpern. Ils interrogent notre condition d’observateurs (spectateurs) en l’articulant à celle de témoins (sujets politiques) de la violence du monde qui nous entoure.