Projet Paradis

Liban

par ,
le 30 novembre 2013

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Arrivés par les airs, comme attendant Chypre, qui a vu la naissance d’Aphrodite.

Ici au Liban, amère beauté qui aide à toujours reconstruire au futur antérieur, ce qui tient et soutient derrière le cauchemar, le rêve à venir.

Paradis, au milieu d’un pays lointain mais tard venu.

Il suffit parfois de saisir une situation : bande de terre repoussée des deux cotés par la Méditerranée et par les Pays de l’est.

Archipel de paroles multiples, langues rassemblées qui se coupent, qui coupent et découpent un monde.

Chaque atome de Beyrouth diffracte et renvoie en même temps un espace de culture et cette violence où les vies, les hommes, conjuguent au présent, la haine à la passion. Tout y est visible en creux, jusqu’à la défaillance.

Ici l’éternité du soleil, de la mer et des terres rouges se goute dans le paradoxe de l’instant qui foudroie la vie et lui donne cette dimension tragique, du tragique.

Mais pour nous, le quotidien partagé nous fait oublier ce que nous n’avons, ni connu, ni vécu.

Alors des amis rencontrés racontent, dans la voix l’intransigeance des deuils et la force des convictions, des moments que les murs ont vécu, traces qui écrivent et crient leur histoire et qui font signe, à la fois, prises dans le temps mais arrêtées en mouvement.

Leur guerre n’est pas la barbarie, qui, ailleurs, dans des quartiers où l’architecture ostentatoire sert à occuper en effaçant le passé du Souk, un espace acheté.

Ces deux mondes se voient mais ne se regardent pas, exclusion réciproque où le plein grouille de vie, ou le vide pue la froideur de l’artifice, l’art a choisi son camp. Immeubles entre l’infini de la mer et les communautés, qui ne sont là, enfin uniquement pour augmenter au nihilisme sa part immonde d’infidélité. Tout propre, trop propre, impropre.

Nous nous promenons à la limite, nos pas guidés par l’impossible arrêt, parce qu’il y convient de revenir, parce que l’urgence de comprendre est antinomique des inscriptions, des multiples communautés qui débordent le sens, qui excèdent l’histoire, qui filment des scènes dont ils sont les acteurs.

Parce que le Liban est sans pourquoi, la cause est multiple, errante et irrévocable.

Comment, pour moi, tutoyer un pays inconnu, sinon en respect de ne rien vouloir comprendre simplement, la distance à prendre n’est pas de l’ordre du savoir neutre mais de laisser être l’outre-distance. Cette réserve n’est pas mutique mais dans l’immesuré laisser ouvert l’advenue.

Avoir parlé, devant la mer, dans la ville, à la campagne, paradis, ici, Eden, dans sa hauteur sur la Bekha monte mais toujours de terre.

Ici parole emportée que je tiens, même hors croyance, se maintient à hauteur symbolique de l’homme, même hors de l’humanisme, de l’universalité du même, hors le global.

Ici le local persiste épris d’une absence qui n’est jamais néant, chaos mais où tout s’est échappé, plaçant ainsi le désir et la mort dans un dialogue sans commencement ni fin.

J’ai essayé sans interpréter, sans traduire, de répondre dans ce qui me place dans l’endroit ou je suis. Comprendre était hors propos alors trouver dans une passivité que côtoie le devenir rien de dire peu, peu à peu afin de ne pas troubler le désordre apparaissant et l’harmonie invisible.

C’est dans cette articulation intempestive que la parole prise, parce que donnée, fut jetée au hasard des questionnements.

Tout se tenait entre l’éblouissement et les nuits plus agitées que le jour, plus conviviales, sans distance, les corps à corps, les mots à mots, les faces à faces.

Alors qu’est ce qu’un film in situ sans préparation aucune, sans mise en scène, sans répétition idiote de séquence, sans autre instance que le Stao du se tenir là ici avec d’autre. C’est déjà soutenir une présence sans projet comme la vie, comme le détour de la branche du figuier qui évite pour grandir.

Trois figures qui configurent un écart, une parole, qui mettraient des paquets d’intensités dans l’écartelé des différences, entendre pour parler, échanger pour changer; le cours des rencontres fluctue entre les êtres et les choses.

Ici les murs sont comme des corps meurtris dans leur être, et les personnes de tout âge, les soirs dans cette rue aux terrasses de cafés qui se touchent, qui nous touchent, nous sommes assis dans la nuit qui sort du jour, on me présente des amis d’amis.

Il y a toujours un Syrien qui veut cirer vos chaussures, son regard et son corps tournés vers le bas, son monde se courbe comme lui, il évite de vous regarder mais il ne voit que vous, mais vous, ne le voyez pas. Présence au ras du trottoir, là où coule l’eau salie, là où la rue est cette ride creusée de pleurs, qui de traces effacées en traces restantes a enlevé couche par couche les maux. C’est cependant là qu’on s’appuie, un pas à pas qui bute sur les pavés. Et tout va à la mer, et tout retrouve dans le bleu son illusion, cette mer mangera ce tout. Cette mer effacera les traces des mots et d’autres viendront s’ajouter en négatif comme un film.

Un film rendra t-il hommage au ressac qui dira que de l’Eden nous sommes exclus parce que l’Éden restera cet endroit où le fini clame l’infini comme l’ombre le soleil.

Puis c’est le nuit, salle de cinéma, le film passe devant des hommes qui passent mais dans la salle à venir, nous sommes comme suspendus aux images qui défileront, Pénélope de notre modernité.

Dans l’Éden le reste manque.

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Photographies prises par Christian Barani durant la réalisation de son projet.